"Celui qui commande se déprave, celui qui obéit se rapetisse. La morale qui naît de la hiérarchie sociale est forcément corrompue."

(Elisee Reclus, 1830 - 1905 )

A travers toute l’histoire, l’individu a été déprécié, humilié, écrasé et nié. En même temps, comme si c’était un courant imperceptible de la vie humaine, l’individu s’est toujours et partout révolté pour briser les chaînes et décider sur sa propre vie.

Des guerres ont été menées, des camps de concentration ont été érigés, des dieux et des races supérieurs ont été inventés pour faire marcher l’homme au pas. Pour nier qu’il existe quelque chose comme un moi qui est unique ; et que l’humanité n’est rien d’autre, rien de moins ou de plus, que pleins de différents moi. Sur quoi est-ce que ceux qui jurent sur l’asservissement de l’individu se basent ? quelles raisons estiment-ils pouvoir invoquer pour légitimer leur conduite ?

Certains s’appuient sur la nature. Ils prétendent qu’il existe des lois naturelles qu’on doit suivre, peu importe si nous pouvons les connaître ou pas, inconsciemment ou consciemment. La nature est alors souvent présentée comme une hiérarchie fixée pour toujours, avec les forts en hauts et les faibles en bas (« des loups et des moutons »). Néanmoins, et dans la mesure où il y aurait une différence entre « notre » monde et le monde « naturel », ça déborde d’exemples qui contredisent et infirment cette hiérarchie naturelle. L’animal le plus « fort » ne survit pas toujours et l’« aide mutuelle » entre les espèces semble être plus déterminante que la concurrence effrénée. En fait, il est difficile de parler de quelque chose comme « une loi naturelle objective » qui ferait sentir toujours et partout sa logique. Les développements « naturels » sont tellement divers, tellement liés aux situations, tellement contradictoires aussi qu’on ne peut en dériver aucune loi, au-delà peut-être du fait que chaque être vivant veut vivre. En découle alors que ceux qui invoquent une telle loi naturelle, le font en fait au nom de quelque chose qui est inexistant – et que, en effet, ce sont simplement leurs idées qu’ils veulent imposer en invoquant quelque chose qui serait « objectif », au-dessus de toute contradiction ou de doute.

Ensuite, il y en a ceux qui disent que c’est Dieu qui guide et dirige tout ; que Dieu a imposé des commandements qu’on doit suivre. Néanmoins, nous constatons que tous ceux qui se présentent comme les représentants sur terre ou au moins les connaisseurs de Dieu (les prêtres, les imams, les rabbis, les gourous,…) ont surtout utilisé leur « autorité » pour perpétuer les rapports de pouvoir existant. Tout-à-fait comme avec la « loi naturelle », on voit des gens invoquer quelque chose qu’ils font passer pour objectif (la volonté divine) et qu’en plus, eux seuls peuvent connaître, pour imposer un code de conduite, une camisole à l’homme. En plus, la morale céleste et divine enlève à chacun la responsabilité de déterminer soi-même ce qu’il trouve bien ou mal – la seule chose qui reste à faire, malgré ses propres pensées, volonté et désirs, c’est suivre ce qui est écrit dans les étoiles.

D’autres encore, qui ont peut-être compris que Dieu n’est qu’une fiction, un fruit de l’imagination de l’homme et qui n’existe donc pas « objectivement », invoquent la Morale qui aurait droit à déterminer nos vies. Souvent, la Morale (l’ensemble de codes de conduites que l’homme est supposé de suivre) est légitimée en faisant référence à la Majorité. Que la majorité des hommes pense que ça c’est bien et ça c’est mauvais, et que tout le monde devrait manier ces même critères. Mais qu’est-ce que c’est « la Majorité » ? Est-ce que ce sont les sondages d’opinion ? Est-ce que personne ne s’est jamais occupé de demander à chacun et à chacune sur cette planète qu’est-ce qu’il ou elle pense ? Non, évidemment. Et voilà pourquoi les prêtres modernes ont inventé et instauré un tas de choses qui représenteraient cette fameuse Majorité. L’Etat en est un exemple par excellence. Au nom de l’Etat (et donc, selon ses croyants, au nom de la « majorité démocratique ») des guerres sont menées, des gens sont enfermés, des minorités sont exterminées et au nom de l’Etat, tout le monde doit se tenir à la même loi. De nouveau, la mission historique, le sens de l’existence de l’homme, est bêtement de suivre.

Tout ceux qui prétendent pouvoir imposer une morale, un carcan, « au nom de… » ont toujours produit de l’oppression. Je pense que ce n’est que quand nous arrêtons avec ce « au nom de… » que nous pouvons commencer à expérimenter différentes formes de rapports, de liens, de relations libres. Que quand chaque individu est pour lui-même la seule source d’éthique, de l’évaluation du bien et du mal (ou plutôt, du bon et du mauvais) ; quand il devient le seul à pouvoir revendiquer sa vie. Contre ces formes de société (une société où les rapports sont imposés d’en haut, peu importe s’il s’agit de Dieu, de la Morale ou de la Majorité), je me bats, en tant qu’individu, pour un archipel toujours étendant de relations individuelles, que j’engage ou romps librement, sur base de mes propres jugements et désirs. Des relations qui peuvent aussi bien être conflictuelles ou harmonieuses, mais où c’est toujours moi et d’autres moi qui en déterminent les formes et les intensités. Une vie où moi, avec tous mes défauts et mes qualités, je tiens la barre et me lie avec d’autres individu, m’associe, sur base de besoins et de désirs partagés. Vu de cette manière, la liberté n’est pas un droit et peut-être non plus un idéal, mais une pratique vivante. La libération de l’individu ne peut pas être proclamée ou imposée d’en haut, ce n’est peut qu’être l’effort de l’individu même, au nom de lui-même.

La révolte du moi contre les carcans et les cages trahit une beauté, une déclaration d’amour pour la vie qui est un coup dans la gueule moche et sanglante de toute autorité. Ces flammes d’amour, justement parce qu’il s’agit de moi-même, sont inextinguibles.

(Dans le prochain numéro, un article sur le pourquoi de notre hostilité face à toutes les autorités.)

"Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l'unique milieu au sein duquel puissent se développer et grandir l'intelligence, la dignité et le bonheur des hommes ; non de cette liberté toute formelle, octroyée, mesurée et réglementée par l'État, mensonge éternel et qui en réalité ne représente jamais rien que le privilège de quelques-uns fondé sur l'esclavage de tout le monde."

(Michel Bakounine, 1814 - 1876)

"Résignés, regardez, je crache sur vos idoles ; je crache sur Dieu, je crache sur la Patrie, je crache sur le Christ, je crache sur les Drapeaux, je crache sur le Capital et sur le Veau d'or, je crache sur les Lois et sur les Codes, sur les Symboles et les Religions : ce sont des hochets, je m'en moque, je m'en ris..."

(Albert Libertad, 1875 - 1908)

 

Publié dans Hors Service, journal anarchiste, n° 8, 18 août 2010, Bruxelles.