Traduit de l'italien sur le site du Réveil (Suisse), mai 2011
Avis aux passagers
Nous le sommes tous. Nous traversons cette existence sur la terre conscients d’être de passage. Surtout parce qu’on ne tient pas dans les mains le volant qui conduit le voyage de notre vie. Nous n’en contrôlons ni la vitesse, ni la direction, ni la destination. Nous vivons cette expérience, la seule à notre disposition, en se contentant, au mieux, de regarder par la fenêtre. Comme des passagers, justement. En sachant bien que rien ne dure éternellement, que, tôt ou tard, on arrive au terminus et on descend.
Nous avons appris que le bonheur est un état momentané. Tôt ou tard, les rapports humains se détériorent, le réveil matinal nous reconduit à l’enfermement quotidien, les déceptions laissent leurs blessures douloureuses. Et le bonheur s’évanouit. Nous avons appris que l’amour est un plaisir éphémère. Tôt ou tard, le coeur ne court plus comme un fou, la magie des regards se brise, le désir s’estompe. Et l’amour finit. Nous avons appris que la confiance est un choix révocable. Tôt ou tard, les promesses ne sont pas maintenues, les programmes ne sont pas respectés, les mensonges remontent à la surface. Et la confiance s’en va. Nous avons appris que la paix est une valeur incertaine. Tôt ou tard, un manifestant est abattu dans la rue, un pendulaire est déchiqueté sur un train, un civil est bombardé dans sa maison. Et la paix a cessé. Nous avons appris que le travail est une occupation temporaire. Tôt ou tard, la technologie est renouvelée, le secteur est saturé, le marché entre en crise. Et le travail est terminé.
Nous avons appris que toute notre vie est transitoire et précaire. Nous ne pouvons pas choisir nous-mêmes les images qui filent à toute vitesse devant notre fenêtre, ni ceux qui viennent s’asseoir à côté de nous. Ce qui se passe, se passe. Inutile de protester. De surcroît il est interdit de s’adresser au chauffeur. Voilà pourquoi rien de ce qui nous arrive semble nous toucher. Si les passagers d’un transport public assistent silencieux et immobiles à une agression, les passagers de la vie assistent silencieux et immobiles à n’importe quel abus. Au lieu de nous encourager à réaliser ici et maintenant nos désirs, au plus vite avant que ça soit trop tard, la caducité de la vie nous a rendu aveugles, insensibles, résignés. Ainsi, nous nous étonnons pas non plus quand nous apprenons que la liberté est une condition provisoire. La liberté même, bien sûr. Ce que jadis constituait la raison principale pour laquelle vivre, se battre et mourir, aujourd’hui a pris l’aspect d’un privilège qui est rarement considéré comme indispensable, qui est superflu pour la grande majorité. Tôt ou tard il pourrait nous arriver de parler, d’aimer, de protester, de vivre sans demander le consentement à la personne compétente. Et la liberté prendrait fin. Au moins pour ceux qui, fatigués de jouer le rôle du spectateur de passage, veulent descendre à tout prix de la machine sociale, lancée dans une course qui ne les regarde pas. Pour ceux qui, au final, s’obstinent à penser que la liberté est encore la raison principale pour laquelle vivre et se battre. A tous les autres, on souhaite un agréable voyage. Et n’oubliez pas de composter votre billet.